« La notion de musée engagé devient évidente pour nous. C’est la force des musées de sciences dans le contexte actuel »

Publié par Philippe Guillet, le 2 juin 2020   1.7k

Article paru sur le site du Club Innovation et Culture France  (CLIC) - Avril 2020

Pour le second épisode de la nouvelle série d’interviews et de points de vue sur le thème « le musée après », le CLIC France donne la parole à Philippe Guillet, Directeur du Muséum de Nantes, depuis 2013, qui a attiré près de 130 000 visiteurs en 2019. Avant d’occuper cette fonction, il a été notamment président de l’Amcsti pendant 9 ans et directeur de l’OCIM de 1988 à 2007.

Découvrez chaque semaine les nouvelles interviews de la série du CLIC France Consultation #museeapres: le CLIC France donne la parole aux membres de sa communauté !

  • . Quel impact a eu la crise du coronavirus et le confinement sur votre institution et son organisation ? 

Le premier effet de la crise a été la fermeture du musée au public dès le dimanche 15 mars avec la mise en place du plan de continuité d’activités nécessaire sur 2 points : la sécurité et la sureté du musée et de ses réserves externes, les soins apportés aux animaux vivants (vivarium et animalerie).

Le reste de l’équipe travaille à distance pour ceux qui le peuvent et qui ont les outils nécessaires à cela. À noter, que Nantes Métropole, distingue bien le télétravail avec les outils fournis par la collectivité (poste accédant à la totalité des outils internes) du travail à distance avec les outils personnels. Très clairement, les limites ont été rapidement atteintes (nombre de connexions aux serveurs limités, applis métiers indisponibles hors du réseau interne…).

Le département des ressources numériques de Nantes Métropole s’active sans relâche pour faciliter le travail à distance. L’organisation du musée en 3 services – ressources, science et patrimoine, publics – et 1 unité communication et partenariatspermet un fonctionnement dégradé mais néanmoins fonctionnel par visioconférences régulières, entretiens téléphoniques…

Visite numérique du muséum en drone (2019) :

  • Et sur votre stratégie numérique ? 

L’accélération de la stratégie numérique a été évidente dès le début de la crise avec la modification du site Internet (rubrique « le muséum autrement »), avec l’alimentation par les différentes ressources disponibles et dispersées dans les services. Malheureusement, l’accès au back-office a été interrompu et n’a été rétabli que partiellement les jours suivants !

  • Quelles transformations durables cette crise apportera t elle à votre mission ?   

Notre PSC 2017 – 2020 prévoit que « conformément aux missions principales qui lui sont dévolues, le muséum de Nantes doit être un lieu porteur de rêves, de découvertes et de créativité; un lieu de rapprochement entre les jeunes et la science; un musée dans son quartier, dans sa ville et dans sa métropole, proposant une science du quotidien, une science pour et dans la société; un musée acteur et référent dans les réseaux locaux, nationaux et européens porteur du rayonnement de la ville de Nantes dans son domaine ».

La crise actuelle ne fera que renforcer le rôle du muséum puisqu’il est par définition à même de répondre aux nombreuses interrogations posées par la société actuelle. La notion de musée engagé devient évidente pour nous. C’est la force des musées de sciences dans le contexte actuel.

  • Quelles transformations durables cette crise apportera t elle à votre stratégie d’innovation, notamment numérique ? 

Cette stratégie devrait être renforcée avec notamment l’accélération du développement du pôle métropolitain de culture scientifique et technique. 

Le pôle de CSTI est chargée d’animer le réseau de la CSTI sur le territoire de la métropole nantaise précisément en apportant une information scientifique de qualité à la population. Dans le contexte actuel de fake news, de science bashing, on comprend qu’il s’agit pour le pôle d’un enjeu et fortement amplifié par la crise actuelle.

De fait, nous avons adapté la plateforme Échosciences (www.echosciences-nantesmetropole.fr) et nous projetons la mise en place d’un réseau de diffusion de l’actualité scientifique sur tout le territoire métropolitain à partir notamment de l’expérience de la Cité des sciences et du réseau nantais de journalistes scientifiques.

C’est un projet qui nous tient à cœur depuis quelques années déjà, nul doute que la crise actuelle devrait singulièrement accélérer sa mise en place. Le pôle métropolitain de CSTI a été initié et est développé par le muséum de Nantes, sous la houlette de Ludivine Vendé.

  • Cette période unique de confinement vous donne t elle des idées de nouvelles formes de médiation dans le musée (après sa réouverture)  et de nouvelles formes d’implication des collaborateurs du museum ? 

Absolument, puisque le travail à distance nous est de fait imposé, nous avons essayé de maintenir notre relation à notre public grâce à l’implication des médiateurs (vidéos sur les araignées par exemple sur la chaîne Youtube du muséum, lectures pour déficients visuels) ou des responsables scientifiques (podcasts en préparation).

Pour ces derniers, l’idée est de proposer des thématiques « biodiversité » sur des supports variés en alimentant la chaîne Youtube ou le site Internet du musée.

Il faudra bien entendu évaluer l’intérêt de ces nouvelles médiations car dans le domaine scientifique l’offre est extrêmement importante souvent développée par des personnalités fortement médiatisées. Je pense à des animateurs comme Jamy Gourmaud ! 

En outre, nos nouvelles médiations ne peuvent se concevoir qu’en lien direct avec le caractère propre du musée qui repose principalement sur ses collections.

  • Avez vous lancé des projets pendant la phase de confinement que vous aimeriez pérenniser ? 

Oui absolument : par exemple, le service gratuit de lectures scientifiques par téléphone, nouveau service mis en place pendant le confinement.

C’est un projet initié par le Muséum de Nantes auquel s’est joint l’Espace des sciences de Rennes, les planétariums de Nantes et de Rennes depuis peu. Il s’agit d’offrir au public en situation de déficience visuelle une actualité scientifique.

Le principe du service, gratuit, « allo Muséum » est le suivant :
. il est disponible gratuitement de 14H00 à 17H00, du lundi au vendredi
. ces lectures s’adressent aux adultes, la durée est de 20 minutes environ
. la personne intéressée précise, par courriel adressé aux structures, l’horaire, le jour et son numéro de téléphone
. la personne choisit la lecture qui l’intéresse dans la liste ci-dessous
. le museum appelle à l’heure convenue, fait la lecture et répond également aux questions.

Le projet est allé très vite en s’amplifiant. Uniquement avec muséum de Nantes dans un premier temps, très vite rejoint par les Champs Libres de Rennes, l’Espace des sciences de Rennes et puis les planétariums s’y sont ralliés. Ce service fonctionne fort– nous ne l’avons pas encore évalué précisément – preuve s’il en est du besoin en la matière de la part des déficients visuels sur le territoire breton.

C’est une relation personnalisée entre un médiateur et son public. Les musées ne doivent jamais perdre de vue la relation humaine entre l’objet, le concept et son public, c’est le principe même du médiateur.

Exemples de lectures : 

. Néandertal le bâtisseur : revue La Recherche de mars 2017
« Néandertal, une brute épaisse ? Plus de 130 000 ans avant l’homme moderne, il construit pourtant des structures symboliques dans la grotte de Bruniquel. »

. Étranges mœurs animales : revue Science magazine d’octobre 2019
« Des découvertes étonnantes ont lieu chaque jour sur les insectes : comportements singuliers, aptitudes extraordinaires, accouplements bizarres. État des lieux ! »

. Morceau de musique Raga Bassant Mukari interprété par Thomas Jacquot et Alexis Weisgerber (Sitar et Tabla) février 2020
« Pour clôturer l’exposition Retour d’Orient, soie épices et pierres précieuses au Muséum de Nantes, les deux musiciens sont venus présenter la musique classique d’Inde du Nord. Les Ragas indiens sont des cadres mélodiques évoquant un sentiment, une saison, un moment du jour ou de la nuit et dans lesquels les artistes improvisent dans un dialogue musical spontané ». (25 minutes)

. Voyage à l’Oasis de Thèbes par Frédéric Cailliaud de 1815 à 1818
« Voyage à dos de chameaux et découverte des mines d’émeraude en Égypte, vivez les aventures de ce minéralogiste du dix-neuvième siècle qui deviendra conservateur du Muséum de Nantes ». (20 minutes)

. Coronavirus : ce que sait la science : dossier proposé par la Cité des sciences et de l’industrie et le Palais de la Découverte, Paris, mars 2020
« Ce document présente ce que les scientifiques savent réellement du virus, loin des polémiques actuelles. »

  • Le service très innovant « allo museum » a été lancé avec l’Espace des sciences de Rennes. Pensez-vous que dans le monde d’après, les synergies entre museums et autres lieux de sciences français doivent être développées. Si oui dans quelles directions, sur quels types de projets ? 

C’est vrai que notre relation avec l’Espace des sciences de Rennes est extrêmement forte, il n’y a que peu d’expositions que nous ne concevons pas ensemble. Mécaniquement, les coûts de production sont divisés par 2 et nous pouvons proposer à nos publics respectifs des expositions de grande qualité que nous ne pourrions faire autrement.

De plus, nous sommes un musée, l’EdS un centre des sciences, c’est un heureux complément particulièrement bien vu dans la coopération entre les deux métropoles bretonnes.

Les synergies entre musées et centre de sciences en France ont toujours été fortes.Le réseau de l’Amscti (Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique, technique et industrielle) existe depuis 1982, la Conférence permanente des muséums depuis une quinzaine d’années et comment ne pas citer, l’Office de coopération et d’information muséales créée an 1985 pour être un centre technique coopératif pour les muséums et par extension à toute la CSTI !

Nous avions organisé au début de la Conférence permanente des muséums, une session de réflexion sur le muséum du futur. Trois groupes de travail se sont attelés à cette tâche avec l’idée d’émettre quelques idées fortes. La première idée citée par tous les groupes a été de systématiser l’usage de la réalité augmentée. Quelques années après, cela reste sans doute une des premières directions à explorer.

Par ailleurs, nous partageons avec quelques collègues depuis plusieurs années maintenant, l’idée d’une déconnexion au musée : « Déconnectez-vous au musée », nouveau slogan pour un public saturé d’écrans en journée par le travail et le soir par les loisirs. J’ai eu quelques scrupules à lancer une réflexion sur cette idée contraire aux idées du moment mais la crise actuelle ne fait que renforcer l’idée qu’il est absolument temps d’en parler pour que le musée revienne au triptyque fondateur Objet réel – Médiateur humain – Public réel.

. Quels sont les premiers projets (innovants) que vous souhaiteriez lancer à la sortie du confinement ?

Nous avons plusieurs projets ou idées en tête. L’un d’eux est la mise en place d’un service dématérialisé de détermination des espèces botaniques et animales au service de la population.

Ce service existait depuis toujours, le public nous apportant directement les spécimens ou échantillons au musée. Il va sans dire qu’outre le fait d’encombrer l’accueil, ce que l’on nous apportait était un peu toujours la même chose. Combien de fausses météorites avons-nous reçu !

Si l’intérêt scientifique est faible certes, l’intérêt en terme de relations avec notre public est évident. Alors plutôt que de donner une réponse souvent sibylline et/ou très en retard par le scientifique du musée concerné, un service dématérialisé offrirait une base de données accessibles à tout notre public et pourquoi pas, amendable par celui-ci.

  • Le musée d’Après sera t il différent du musée d’Aujourd’hui ?

Le muséum d’Après sera différent, il se marquera par un fort engagement sur les thématiques environnementales (biodiversité, changements climatiques, démographies, zoonoses…).

Le PSC 2020 – 2025 est en cours d’écriture, il sera le support de la rénovation du muséum qui doit voir le jour dans cette nouvelle mandature. 

Le principe en a été acté en espérant que la situation actuelle ne le remette pas en cause.

Propos recueillis par mail le 21 et 28 avril 2020

PHOTOS: Museum de Nantes

Photo carousel article: © Patrick JEAN 

Date de première publication: 30/04/2020

Le Museum et les autres lieux culturels de Nantes sont membres du Clic France.